
On le sait : l’art contemporain aime
l’hybridation et les approches transversales. Les sujets et les moyens de l’art
moderne sont devenus trop étroits pour des créateurs qui entendent faire entrer
dans leurs œuvres les matériaux bruts de la société moderne – sinon la vie
elle-même. Sophie Calle s’inscrit
parfaitement dans cette mouvance. Tout comme Christian Boltanski, son aîné et ami, elle n’a cessé, depuis ses
débuts, à la fin des années 70, de multiplier les propositions insolites ou de
tirer des fragments de son vécu dans le champ artistique. Assez rapidement,
elle a connu le succès et compte désormais parmi les artistes français les plus
influents sur la scène internationale. En répondant présentement à l’invitation
des musées de Marseille, elle a conçu un parcours en cinq étapes qui s’offre au
visiteur comme une sorte de portrait chinois, chemins semés d’indices et qui ne
mènent qu’à la découverte de cette personnalité hors-normes.
La déclinaison de l’intimité
la plus douloureuse est au cœur de Rachel,
Monique, l’exposition présentée dans
la chapelle de la Vieille Charité. C’est de sa mère, disparue en 2007, qu’il
est qu’il est question ici à travers de nombreux extraits de journaux intimes,
de photographies grandeur nature (comme celles du tombeau de la défunte), de
sculptures – ah ! Ce cercueil équipé d’une montre – et même d’une girafe
taxidermisée. Précisons que cette troublante mise en scène a déjà été montrée
plusieurs fois, notamment à Paris en 2010 et à Avignon en 2012.
C’est la même scénographie détonante que l’on retrouve au musée Grobet-Labadié, mais sous un angle plus sentimental. Car les objets du quotidien (chaussure, cendrier, sèche-cheveux, appareil photo, entre autres), que l’on découvre ici parmi des pièces plus anciennes, ont tous en commun d’avoir appartenu à l’artiste, formant ce qu’elle nomme ses Histoires vraies.
Non loin de là, au muséum
d’histoire naturelle, c’est l’amour et ses multiples formulations qui forment
le sujet de Liberté surveillée, A l’espère et Le Chasseur Français. Pour l’essentiel ce sont des petites
annonces, parues dans ce journal entre 1895 et 2010, qu’elle a collectées et
assemblées dans des listes qui voisinent des animaux sagement empaillés, bien à
l’abri derrière leurs vitrines. Faut-il dire qu’elles ne manquent pas de
saveur, véritable panorama des goûts érotiques de la société
française d’hier et d’aujourd’hui? Mais on trouve aussi, du côté des
tables vitrées, de petites vidéos offrant la vision de photos et de messages
amoureux.
Enfin au musée des Beaux Arts
Longchamp, juste en face, c’est un retour quasi mimétique au tableau qu’elle a
opéré avec Parce que, série de petits
et moyens formats recouverts d’une toile noire sur laquelle, en lettres
blanches, s’égrènent des sentences dont on ne comprend la vraie signification
qu’en découvrant la photo qui se cache dessous. Et là encore, l’humour le plus
grinçant est souvent au rendez-vous.
On sort de ce parcours la
tête fourmillante d’images et d’idées. Sans doute la proposition artistique la
plus originale formulée depuis longtemps par les musées de Marseille :
contemporaine, en un mot. Mais pourquoi le MAC n’a-t-il pas été associé à ce
projet d’envergure ?
Du 26 janvier au 22 avril 2019
Jacques LUCCHESI
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