
Depuis 2013, année où elle fut sacrée ville
européenne de la culture, Marseille a gardé le goût des grandes synergies
culturelles qui déploient leur dispositif à l’échelon départemental. Il s’agit
ainsi de créer, sur la durée d’une année, des événements mobilisateurs, tant
pour les nombreux marseillais amateurs d’art que pour tous ceux qui ne font que
passer par ici.
Après l’amour en 2018, c’est
la gastronomie qui donne le ton à cette année 2019. Plus spécialement la
gastronomie provençale, avec ses multiples influences ethniques, avec
l’omniprésence de la mer qui n’a pas peu fait pour le plaisir gustatif des
Provençaux. Mais comment traduire un art aussi fugitif que fondamental avec les
moyens des arts plastiques ? C’est le défi que s’est lancé l’association Regards
de Provence en organisant, la première, ces noces de la vue et du goût
avec ces deux expositions réparties sur les deux niveaux de son musée. Pour la
circonstance, de nombreux lieux d’art ont joué la carte du prêt, complétant
ainsi son fonds pictural déjà très riche.
Contre toute attente, c’est
l’art moderne et contemporain qui ouvre ce parcours avec une centaine d’œuvres
réunies sous l’intitulé l’art mange l’art. Il y aurait
beaucoup à dire sur cette tautologie si les artistes n’y avaient déjà répondu
par leurs créations. C’est le cas, en particulier, de Dorothée Selz et de sa
grande sculpture, aussi chamarrée que torsadée, en polystyrène expansé et
enduite – détail non négligeable – de gelée royale. La suite des choses nous
réserve quelques savoureuses surprises : citations de maîtres anciens
(Sabine Pigalle, Francis Giacobetti, Nathalie Lesueur), une très belle toile
abstraite de Simon Hantaï (Tavola),
une non moins superbe table sculptée de Gaetano Pesce et même une petite
compression de cageots signée César. Parmi les nombreux photographes exposés
dans cette section, signalons le chinois Liu Bolin pour le mimétisme troublant
entre la viande et le boucher qu’il met en scène dans un de ses grands formats
numérisés, Hiding in the City-Paris.
A l’étage, De la
table au tableau – intitulé aussi polysémique que le premier – poursuit
l’exploration de cette savoureuse thématique mais sous un angle plus classique.
Evidemment ce sont les natures mortes, avec leurs rutilants étalages de fruits,
de volailles, de poissons et de coquillages, qui se taillent ici la part du
lion. Mais peut-on s’en plaindre lorsqu’elles sont signées par Dufy, Chabaud,
Valtat, Manguin ou Vlaminck ? D’autres, comme Crémieux, Pomerat ou
Baboulène, offrent avec leurs tableaux la vision de scènes de marché,
véritables écrins de la mémoire locale.
Il faut également s’attarder
sur les travaux en trois dimensions, sculpture sou installations, surtout
lorsqu’ils ont la délicatesse des œuvres d’Aurélie Mathigot, Nathalie Bretillat
ou Marie Ducaté, toutes inspirées par les créatures marines.
Si certaines pièces, par leur
caractère ouvertement contemporain (comme la « poubelle » d’Arman ou
la photo des articles de supermarché de Claude Glosky) semblent davantage
correspondre à l’esprit de la première exposition, cette délimitation un peu
floue des époques ne gâche en rien le plaisir de cette visite. On en ressort,
comme on s’en doute, avec un appétit aiguisé.
De la table au tableau, jusqu’au 22 septembre 2019
Jacques LUCCHESI
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