Mucem : une brève histoire du roman-photo


Face aux différentes formes de la culture populaire, les gardiens de l’establishment culturel sont rarement laudatifs. Comment pourraient-ils voir d’un bon œil l’inventivité de ces productions artistiques (généralement peu soignées) qui menacent insidieusement leur pré carré ? Tout comme la photographie à ses débuts, le roman-photo, à peine apparu (1947), a été la cible des intellectuels, des militants politiques et de l’église catholique – qui voyait en lui une cause de dépravation de la jeunesse moderne. De quoi était-il question dans ses pages ? De l’amour, bien sûr, et de ses multiples déclinaisons: jalousie, tromperies, passions ravageuses ou contrariées. Ces sacrés Italiens s’y entendaient pour composer à peu de frais des histoires qui étaient surtout prétextes à photographier - sous toutes les coutures - des bimbos au corps à corps avec des play-boys. Pour cela un simple Rolleiflex, du carton, un peu de colle et quelques bribes de dialogues tapuscrites suffisaient. Cela ressemblait au cinéma tout en étant son parfait contraire. Pourtant, bien des acteurs et des actrices (comme Sophia Loren) y firent leurs premières armes ; quand les scénaristes n’adaptaient pas, pour le format magazine, les films à succès d’alors (La dolce vita ou A bout de souffle), voire des romans « classiques » (comme La cousine Bette, de Balzac). Entre la lessive et la cuisine, les ménagères s’offraient ainsi du rêve bon marché avec Nous deux – qui tirait alors à plus d’un million d’exemplaires chaque semaine. Mais leurs maris, en secret, y trouvaient aussi beaucoup d’agréments. Une tendance qui s’accentuera avec l’apparition des premiers romans-photos érotiques, dans les années 60. Le genre était largement ouvert aux mélanges. C’est ainsi que Satanik, dès 1967, offrira à ses lecteurs un cocktail hebdomadaire d’espionnage, d’érotisme et de sadisme. Il va sans dire qu’il subira rapidement les foudres de la censure. Mais le ton était donné et la presse satirique reprendra la recette à son compte. Ce qui nous vaudra, dans Hara-Kiri puis Charlie-Heddo, les extravagances libidineuses de l’inénarrable professeur Choron et de quelques-uns de ses facétieux invités – dont Coluche. D’autres pousseront le détournement des images dans le champ de la critique sociale, comme Guy Debord et les situationnistes. Bref : le roman-photo connut une prospérité bien au-delà de ses espérances initiales.

 C’est son épopée qui est condensée sur quelques centaines de M2 au Mucem, offrant un double point de vue, tant esthétique que didactique, sur ce phénomène éditorial. Outre de très nombreuses affiches, couvertures et planches de photos d’époque, on y découvrira quelques fleurons, comme le mannequin en polyester de Satanik, la Fiat coupée en deux de la troupe belge Royal de Luxe ou des extraits de La jetée, le chef-d’œuvre de Chris Marker composé entièrement avec des images fixes. Indéniablement, c’est désormais au Mucem que bat, à Marseille, le cœur de la culture moderne. 

 Du 13 décembre 2017 au 23 avril 2018. Renseignements et réservations au : 04 84 35 13 13 ou : reservation@mucem.org/mucem.org

Jacques LUCCHESI

(Article initialement publié sur le webmag de Toutma)


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