Ai Wei Wei : une première au Mucem


           






Si l’art contemporain chinois a connu en occident un engouement considérable au cours des deux dernières décennies, le public cultivé serait bien en peine de citer spontanément les noms de ses représentants les plus cotés. Aucun artiste ne s’est vraiment détaché pour atteindre une notoriété internationale, à l’exception d’Ai Wei Wei (né en 1957). Cette célébrité, le plasticien chinois la doit bien sûr à son travail multiforme, mais aussi à son activisme, à travers les réseaux sociaux, en faveur de la liberté d’expression et des Droits de l’Homme. En ce domaine, nous le savons, l’état chinois ne s’embarrasse guère de scrupules. Pour tenter de bâillonner son enfant terrible, il n’a rien trouvé de mieux que de le faire emprisonner quelques semaines en 2011. Le phénomène Ai Wei Wei était lancé et l’artiste (qui vit maintenant à Berlin) est rapidement devenu un symbole de la liberté dans le monde entier.

Mais cet exilé, qui a mis depuis sa réputation et sa combativité au service des migrants, n’en est pas moins ancré dans la culture millénaire de son pays. C’est ce que nous révèle la grande exposition que lui consacre, en cet été 2018, le Mucem – sans doute l’une des plus importantes jamais organisées ici. Précisément, elle met en abîme sa thématique personnelle avec le regard des européens sur la culture chinoise aux XIXeme et XXeme siècles. C’est aussi un hommage à son père, le poète Ai Qing (1910-1996) et à Marseille que celui-ci avait découverte en 1929, à l’occasion d’un voyage d’études. On pourra lire ici, entre autres textes et pièces rappelant son périple, le beau poème qu’il a dédié à la turbulente cité phocéenne.

Dans la mouvance de Marcel Duchamp et de ses fameux ready-made, Ai Wei Wei refaçonne les objets quotidiens pour y faire passer un peu de ses préoccupations politiques. Ainsi en va-t-il pour les premières phrases de la Déclaration des Droits de l’Homme inscrites dans la pate de deux énormes savons de Marseille, en début de parcours : une manière ironique de dire qu’elles peuvent être facilement gommées. Là, c’est une maison traditionnelle chinoise qu’il a recréée grandeur nature, par opposition à la frénésie immobilière qui caractérise la Chine d’aujourd’hui. Ailleurs, sa critique du pouvoir s’exprime en de petites sculptures, comme ces caméras de surveillance en marbre, ces menottes en jade ou même cette bombe lacrymogène directement importée de la jungle de Calais. Ce qui reste, sous l’angle émotionnel, en deçà de ces ossements humains prélevés dans un camp de travail chinois et qui sont exposés tels quels sous un couvercle en verre.

L’artiste ne s’efface pas toujours derrière ses créations, comme on peut le voir dans trois grandes sérigraphies où il s’est mis complaisamment en scène. Voici, un peu plus loin, la sculpture de son bras et de sa main faisant un doigt d’honneur. Une geste provocateur que l’on retrouve dans deux de ses photographies de perspectives. Le trublion, cependant, revient à une problématique plus grave avec cet immense conteneur en bois, reproduction fidèle de celui dans lequel des adolescents chinois furent mortellement enfermés, voici quelques années. Ou en empilant des pneus qui furent des bouées de sauvetage de migrants à l’approche des îles grecques. Et c’est encore la rapacité occidentale qu’il dénonce en exposant douze grands bronzes animaliers symbolisant le zodiaque chinois.

Terminons ce tour d’horizon par une anecdote qui ne manque pas de saveur dans ce contexte ; puisque Fan-Tan, qui donne son sous-titre à cette exposition, est le nom d’un char d’assaut anglais qu’un magnat chinois offrît aux alliés à l’issue du premier conflit mondial. Pour la petite histoire, il fut repeint entièrement par des engagés volontaires chinois et orné, sur ses flancs, d’un œil grand ouvert, le même qu’a repris Wei Wei dans quelques-unes de ses pièces les plus sardoniques. Hier comme aujourd’hui, il n’y a pas d’échanges interculturels où l’art ne trouve sa place.

Jusqu’au 12 novembre 2018. Informations sur : www.mucem.org

Jacques LUCCHESI

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