Mucem : Mohammed Kacimi, une transition africaine




 A ne plus observer les pays du Maghreb que sous l’angle politico-religieux, on en oublierait presque qu’ils ont été aussi des foyers de création artistique. De nombreux artistes, poètes, écrivains ou plasticiens, y ont recueilli les influences de l’art occidental tout en apportant une expression renouvelée de leur propre fonds culturel. Enfant du Maroc, Mohammed Kacimi (1942-2003) est assurément l’une des personnalités les plus représentatives de cette génération post-coloniale qui a produit maints épigones. Auteur et illustrateur de nombreux textes politiques et poétiques, il est avant tout un peintre de la plus grande vigueur – 4200 œuvres recensées en un peu plus de  quarante années de carrière. Tout comme Nicolas de Staël (qui fut l’un de ses modèles), son formalisme abstrait est toujours ancré dans le sensible. Le fond de ses toiles, très travaillé, s’orne souvent de coulées  de peinture. Tour à tour froide et chaleureuse, sa palette ménage une place importante au bleu, comme un appel vers l’infini. Et la figure humaine (en aplat)  est au cœur de ses tableaux, comme plongée dans un dialogue silencieux avec les éléments qui l’entourent. Dans cet espacé géométrisé, où les superpositions sont nombreuses, ils prennent ainsi valeur de symboles. Les mots et les collages y sont largement présents, aussi.

Conçue par Nadine Descendre et scénographiée par Sylvain Massot, l’exposition présentée au Mucem s’est volontairement limitée aux dix dernières années de la vie de Mohammed Kacimi, période de retour à ses racines africaines. Elle n’en rassemble pas moins 325 œuvres – tableaux, sculptures, dessins, photos, lettres et manuscrits – réparties sur deux salles, dans l’aile du Fort Saint-Jean. La créativité débordante de Kacimi l’entraînait à expérimenter toutes sortes de supports. Dans la salle principale, agréablement éclairée à giorno, le visiteur s’arrêtera certainement devant cette série de valises peintes, clin d’oeil aux événements tragiques qui ont rythmé sa jeunesse. Cette dimension politique se retrouve également dans certaines de ses techniques mixtes exposées ici. Chacun est fils de son temps, même si l’art permet aussi de tenir l’Histoire à distance. Avec l’évocation de ce passeur considérable, le Mucem réaffirme sa vocation de chaînon culturel entre les deux rives de la Méditerranée.

Jusqu’au 3 mars 2019. Tous renseignements sur mucem.org

Jacques LUCCHESI

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