Dans la
notion d’artiste engagé, il y a le risque intrinsèque de privilégier le
deuxième terme – l’adjectif substantivé - et de glisser ainsi vers le discours
idéologique. Cet écueil – car c’en est un -, Ernest Pignon Ernest (né en 1942) a toujours su l’éviter. Et
pourtant, à observer l’œuvre qu’il élabore depuis plus de cinquante ans, nul ne
pourrait lui dénier sa dimension d’engagement humaniste. Mais chez lui, les
mots n’ont jamais pris le pas sur les images, quand bien même il a souvent
représenté des poètes dans ses affiches. Présenter serait d’ailleurs plus
exact, comme le fait remarquer André
Velter dans son préambule. Car l’artiste niçois n’est pas qu’un
exceptionnel dessinateur ; depuis ses premières interventions, dans les
années soixante, il a toujours choisi avec un soin extrême les lieux qui ont
servi de cadres à ses affiches. A tel point que le décor urbain, chargé de
sens, devient partie intégrante de
l’œuvre réalisée. Ses dimensions imposantes ne peuvent être inaperçues,
interpellent tous ceux qui passent, l’esprit souvent atone, dans ces espaces
familiers mais que l’artiste, habilement, bouleverse, transforme, renouvelle.
« Je ne fais pas des œuvres en
situation, j’essaie de faire œuvre des situations. » Dit Ernest Pignon
Ernest en parlant de son travail. En cela, il se situe aux antipodes des
artistes actuels du Street Art, volontiers criards, même si on lui a souvent
attribué la paternité de ce courant artistique.
Ce théâtre silencieux qu’il a
porté et expérimenté aux quatre coins du monde, c’est à Avignon, dans l’écrin
historique du Palais des Papes, qu’il fait escale aujourd’hui. Sous l’intitulé Ecce Homo – voici l’homme - sont rassemblées quelques quatre cents œuvres
(photos, affiches, dessins) qui composent un véritable portrait en creux de
leur auteur. Elles permettent non seulement de revenir sur les grandes étapes
de ce parcours hors du commun, mais aussi de mieux comprendre ses méthodes de
travail. Car chacune de ses affiches, au pochoir et en noir et blanc, a fait
l’objet de nombreux travaux préparatoires sur papier (pastel, encre, pierre
noire) et ceux-ci prennent, dans ce contexte, un caractère d’œuvre à part
entière.
Si les sujets sociaux et
historiques (résistants, prisonniers, immigrés, expulsés, avortement)
constituent une part importante de son inspiration, on découvre au fil des
sections des approches moins connues mais néanmoins originales, comme cette
série de visages aplatis contre des vitres de commerces et de cabines téléphoniques.
Mais, évidemment, ce sont les affiches mettant en scène des personnalités
littéraires qui captent le plus l’attention. Voici, à Naples, le David et
Goliath du Caravage revisité avec la tête tranchée de Pasolini : le poète-cinéaste est également à l’honneur dans Si torno, une autre série de 2015. Il y
a, bien sûr, la fameuse affiche du jeune Rimbaud
exposée initialement à Charleville-Mézières en 1978 et qui ne fit pas peu pour
la célébrité d’Ernest Pignon Ernest. Citons encore Maïakovsky à Avignon (1972), Antonin
Artaud à Ivry (1997), Jean Genet
à Brest (2008), Mahmoud Darwich à
Ramallah (2009) ou Robert Desnos à
Paris (2013).
Toutefois, pour apprécier cette
magnifique rétrospective disposée dans la Grande Chapelle, il vous faudra
emprunter un itinéraire labyrinthique à travers les différentes salles du
Palais des Papes. Un parcours d’ailleurs conçu par Ernest Pignon Ernest
lui-même, avec le concours de l’architecte Virginie Pineaud. Comme quoi, il
faut toujours consentir bien des efforts pour accéder au saint des saints.
Du 29/06/2019 au 29/02/2020. Ouvert tous les jours.
Tous renseignements sur : www.palaisdespapes.com
ou sur : www.avignon-tourisme.com
Jacques LUCCHESI
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