Art et numérique

 




Naguère, aller au musée constituait souvent la sortie culturelle des familles les mieux éduquées. On prenait le temps de découvrir par le détail les œuvres accrochées, quitte à se planter devant dix bonnes minutes. L’art avait partie liée avec des œuvres réelles, forte d’une matérialité qui pouvait traverser les siècles. Et même si elles s’adressaient principalement à notre vue, elles s’inscrivaient dans un espace particulier, avec ses bruits et ses odeurs, qui nous les rendaient sensibles, sinon vivantes. 

Aujourd’hui, il y a toujours, certes, des expositions et l’on va toujours dans les musées, mais on découvre de plus en plus leur contenu à l’avance, par Internet. Les tableaux de maîtres ont tous, à présent, leurs simulacres numérisés que l’on peut consulter, via Twitter ou Facebook, dans le temps même de la visite, en lieu et place des anciens audio-guides. Il faut être à la page et les grands musées flirtent désormais avec les réseaux sociaux et leurs applications interactives (dont on ne peut ignorer le coût ni les visées mercantiles).

 La crise du coronavirus et la fermeture des lieux culturels qu'elle a entraînée n'a fait qu'accélérer ce processus. Si c’est la marque d’un indéniable progrès technologique, il n’est pas certain que ce soit un progrès pour l’art et sa connaissance. Ni d’ailleurs pour la qualité de notre vécu, de plus en plus menacé par une subtile forme de dématérialisation. Car une image numérique, fut-elle d’une définition parfaite, ne peut pas informer autant qu’une œuvre concrète in situ, en deux ou trois dimensions, ni surtout faire désirer les moyens de la création artistique. A moins de se substituer à eux et de devenir le vecteur et l’espace mêmes des œuvres.

Jacques Lucchesi



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